Pour des descriptions vivantes

Pour des descriptions vivantes

Comment expliquer clairement une situation confuse, comme un combat, ou décrire efficacement une salle d’auberge médiévale ? On peut toujours dessiner un plan et utiliser des figurines. Mais pour les paysages ? Les personnages ? Heureusement, il existe des trucs pour éveiller l’imagination des joueurs et faire souffler le vent de l’épopée sur la table de jeu.


Je décris donc je joue

Le jeu de rôle est un jeu d’imagination, une activité intellectuelle et orale, qui implique que l’on puisse se représenter ce qui n’existe pas. Un des éléments essentiels de cette capacité de représentation est le talent de conteur du meneur de jeu. Pour faire sentir aux joueurs ce que leurs personnages ont sous les yeux, il faut que le MJ leur donne suffisamment d’indications pour qu’ils puissent se faire leur cinéma dans leur tête. Il arrive en effet toujours un moment où l’on ne s’adresse plus aux sens des joueurs (principalement la vue, lorsque l’on dessine un plan où que l’on utilise des figurines), mais à leur imagination. Il faut alors se jeter à l’eau et décrire.

En fait, on peut dire que les descriptions ont deux raisons d’être. La première c’est de faire comprendre ce qui se passe, la seconde de faire rêver. Si vous, meneur de jeu, ne décrivez rien. les joueurs vont tous imaginer des choses différentes. Untei va être persuadé que la salle d’auberge que vous venez de mentionner est pleine de riches marchands qu’il va pouvoir voler, tel autre va croire qu’il est dans une auberge de deuxième ordre et qu’il va donc pouvoir brailler comme un âne si cela lui chante. Manque de chance, vous imaginiez l’auberge comme un endroit chaleureux et tout simple, tenu par une grand-mère sympathique!

Enfin, le jeu de rôle, bien plus que la belote ou la pétanque, fait appel au rêve et à l’imaginaire. On peut certes se contenter, durant les parties, de descriptions purement informatives :

MJ : « La route mène à un château. »

Joueurs : « Bon, ben, on y va »

MJ : « OK vous entrez dedans. Il y a un garde à l’entrée. »

Joueurs : « On lui demande comment s’appelle le seigneur. »

C’est pourtant dommage de ne pas mieux exploiter les décors, ce qui en jeu de rôle ne coûtent vraiment pas cher. Et des descriptions un peu plus subtiles peuvent apporter beaucoup :

MJ : « La vieille voie mal pavée débouche dans une vallée. Sur la colline devant vous, se dresse un petit chäteau de pierre blanche. Un étendard flotte au sommet de la plus haute tour, un étendard rouge qui se découpe fièrement sur le bleu du ciel. Le pont-levis est abaissé. »

Joueurs : « Nous entrons dans le château. »

MJ : « Nuance, vous essayez d’entrer. Il y à un garde à la porte. Un gringalet, perdu dans son armure de cuir et largement aussi épais que sa hallebarde. »

Joueurs : « Holà, soldat. qui est le maître de ces lieux? »

Ce n’est pas grand-chose, mais cela a tout de même une autre allure, non? En peu de mots, on peut créer une autre ambiance, qui va dynamiser la partie. Dans un jeu comme Vampire, lorsque l’on conçoit une campagne il est conseillé de songer d’abord à son ambiance générale, et donc à la façon particulière dont on va décrire certaines choses (par exemple, tous les objets en métal seront piqués de rouille, symbole de la décrépitude de cet univers).

Si vous doutez de l’intérêt des descriptions, livrez-vous, lors de votre prochaine partie, au petit test suivant. La séance n’est pas encore commencée, vos joueurs s’échangent les derniers potins. Prenez un air inspiré, regardez au loin, et commencez : «Vous sentez un goût de sel sur vos lèvres. Le vent qui souffle dans vos cheveux, Et devant vous la mer à perte de vue.» Le silence s’est fait autour de la table, et déjà vous avez captivé vos joueurs. Au cinéma, cela s’appelle un générique d’ouverture (pensez aux James Bond par exemple).

En bref, la capacité du meneur de jeu à décrire est ce qui va donner son caractère unique à un scénario de jeu de rôle, c’est ce qui nous fait rêver (comme une scène forte dans un film, un passage épique dans un roman…), Ce qui nous fait croire, l’instant d’une partie, que l’on vit par personnage interposé des aventures extraordinaires. Donc, pas de bonne partie de jeu de rôle sans quelques belles descriptions.


Descriptions, mode d’emploi

Comme pour les comédiens, si vous-même ne visualisez pas la situation de façon rigoureuse, ce n’est pas la peine d’essayer de la décrire ou de la faire «passer». Il faut avoir des images fortes dans la tête pour pouvoir les transmettre clairement, et en parler de façon suffisamment convaincante pour que les joueurs y croient. D’où l’intérêt de la mémoire (choses vues ou vécues). Pensez aux gens que vous connaissez, aux paysages que vous avez vus, aux châteaux que vous avez visités. Vous avez besoin de décrire une jolie fille? Vous avez sans doute cela dans votre entourage, petite amie ou cousine lointaine. Eh bien, inspirez vous en !

Il existe un exercice simple, et plutôt amusant, qui vous permettra de développer vos talents de conteur. Lorsque vous voyez quelqu’un, demandez vous de quelle façon vous pourriez le décrire : de grandes mains, des sourcils broussailleux, des dents bien rangées, un nez très fin, ou, s’il s’agit d’un bâtiment, de grandes fenêtres pour laisser entrer la lumière, une belle architecture à colombage (les guides touristiques décrivent très bien les vieilles demeures, réutilisez leurs formules et leur vocabulaire), etc. En aiguisant votre sens de l’observation, et en essayant de le mettre en mots, vous développerez vos dons de narration!

Et si vous ne vous sentez pas d’improviser sur le coup une belle description, préparez un petit texte à lire à voix haute. Vous voyant décrire «officiellement », les joueurs seront aussitôt attentifs et ne vous couperont pas la parole.


Il sentait bon le sable chaud…

Faites intervenir tous les sens : la vue bien sûr, mais aussi l’odorat, le goût, le toucher. Associez les gens à des odeurs, des bruits, des sensations : untel sent mauvais ; tel autre a la respiration sifflante, sans doute est-il malade ; telle jeune femme porte des vêtements soyeux (en lui associant la sensation d’un contact agréable, vous créez une image sensuelle). Il en va de même pour les lieux. En décrivant un endroit, demandez vous ce qu’il sent ? Quels bruits y a-t-il ? Par exemple le métro parisien, c’est avant tout une odeur électrique, grasse, la foule, des bruits, une certaine lumière. Les cours de vos châteaux vont s’animer d’une vie nouvelle si vous évoquez la blancheur de la pierre, l’odeur de paille et de crottin des écuries, les rires des gardes. Plus vous stimulez l’imagination des joueurs, plus leurs impressions seront fortes, plus leur plaisir sera grand.


Un nain de 1.80m

Comment décrire un personnage ? Comme il est dit plus haut, inspirez vous des gens que vous connaissez. Mais il existe quelques pièges à éviter, notamment celui de la surabondance de détails. Si vous entreprenez de décrire entièrement quelqu’un, vous allez non seulement y passer des heures, mais vous allez fatiguer les joueurs, et vous aurez surtout raté votre effet. Car il est plus efficace de donner quelques traits physiques bien choisis que de tout décrire. Il est plus facile de se souvenir d’Hakim, «un étrange vieillard aux yeux vairon» (de couleurs différentes) que de Îxe, »1,70m pour 65kg, cheveux et yeux bruns, épaules tombantes, pointure 42. »

Au début du siècle, il existait une science qui prétendait associer traits de caractère et traits physiques : la physiognomonie (elle avait pour bel objectif de permettre de repérer plus facilement les idiots congénitaux, les dépravés, les assassins), Bien que cette «science » n’ait prouvé que les préjugés de ses inventeurs, ses clichés restent en vigueur pour choisir des persos de film de série B. Pourquoi ne pas vous en servir ?

Front dégagé : intelligence, front bas : stupidité, yeux enfoncés : ruse, grandes mains : violence, larges épaules : inspire la confiance, lèvres minces : austérité, lèvres pleines : sensualité, démarche trainante : manque de volonté, démarche souple : sportif, bretteur, gestes lents : sensualité, assurance, gestes vifs : nervosité.

Il suffit dès lors de peu de choses pour décrire un personnage, et marquer l’esprit des joueurs : « Un petit homme s’approche de vous. Il a des yeux perçants, très enfoncés, et des gestes vifs. » Ce n’est pas grand-chose, mais vous avez éveillé l’intérêt des joueurs, qui vont se dire : Hum, méfions nous, ce type doit trainer dans de drôles de coups… (De fait, il s’agit d’un truand, qui va proposer aux personnages une affaire douteuse). Et qu’importe sa couleur de cheveux ou de yeux.

Pensez en termes relatifs ! Décrire un personnage comme faisant 1,82 mm et 76 kg est sans intérêt. Comparez plutôt les corpulences des PNJ à celle des PJ. Le personnage rencontré est-il baraqué, ou au contraire très maigre, ou bien de la même taille que les personnages mais en plus enrobé. Il est plus facile de savoir comment réagir face à quelqu’un dont on sait qu’il est tout petit comparé à soi. Si les PJ sont tous des géants, un type comme Conan sera présenté comme un gringalet, et tout Conan qu’il soit, les personnages le verront et le traiteront comme un minable.

En fait, les indications techniques ne valent que si elles relèvent du monstrueux, et ce par rapport à une moyenne humaine : « Le videur du club qui vous conseille de partir fait près de 2,30m et doit bien peser 160 kg. Un vrai sumotori. » Ou au contraire, vous pouvez décrire un échalas de 2m pour 45kg (une morphologie improbable, mais qui évoque bien l’extrême maigreur du personnage).

Mais n’hésitez pas, après, à casser ces clichés. Vous pouvez décrire un type très intelligent comme ayant l’apparence d’un abruti complet, et ainsi surprendre les joueurs.


Le jeu dont vous êtes le tour operator

Tout le monde sait comment est une chaîne de montagnes, mais si vous la comparez aux dents d’une scie, ou à la mâchoire d’un monstre gigantesque, eh bien vus montagnes vont tout de suite être un peu is inquiétantes. Essayez de trouver des images, des métaphores pour décrire ce qu’obser vent les personnages. N’hésitez pas à vous inspirer des écrivains ou des poètes que vous aimez.

Un paysage de collines, légèrement boisé, avec une rivière en contrebas peut être décrit et donc perçu très différemment. Ainsi, sous un climat humide et inquiétant : « C’est un paysage de collines ravagées par l’érosion. Elles sont couvertes de futaies sombres, où ne survivent que des arbres au tronc noir et suintant. Par terre, des champignons aux couleurs maladives poussent sur un tapis de feuilles pourries. Une odeur forte d’humus est imprégnée partout, et du ruisseau qui coule en contrebas s’élève un chant, à peine un murmure, le récit de quelques tragédies… «  Et hop, voilà un paysage de Nouvelle Angleterre pour un scénario de L’appel de Cthulhu.

Si vous préférez le soleil des Terres du Milieu, allons y : « C’est un doux paysage de collines, aux futaies lumineuses, aux arbres majestueux à l’écorce d’or. Une odeur de sève et de fleur emplit l’atmosphère, et du ruisseau qui coule en contrebas s’élève un chant, à peine un murmure, comme le rire d’un enfant elfe… »

En définissant un climat, une ambiance, vous faites le choix d’un certain vocabulaire. C’est la cohérence de ce vocabulaire (dans notre premier exemple, tout ce qui a trait à l’humidité, au sombre) qui donne de la force à votre description.

Pensez également aux techniques cinématographiques. Procédez par plans (premier plan, deuxième plan, troisième plan), donnez du mouvement et de la profondeur ! N’allez pas des montagnes lointaines au trou de lapin aux pieds des persos, puis du trou de lapin aux sommets enneigés pour revenir au contrefort, sans oublier le col plus à l’est. Partez de l’endroit où se trouvent les PJ et faites un panoramique (la caméra ne bouge pas, mais elle balaie autour d’elle). « La forêt s’éclaircit, puis disparaît tout à fait et vous distinguez un paysage de contreforts montagneux, de collines rocheuses où le gris de la pierre alterne avec les verts et bruns de la végétation. En vagues successives, ces collines se font monts puis montagnes, et bien au-delà, à l’horizon, c’est une formidable chaîne de pics enneigés. Percée à l’est par un col. Sans doute celui que vous devez emprunter pour rejoindre Falkouda. » Ici, le premier plan est celui de la forêt, à la lisière de laquelle se tiennent les personnages. Le deuxième plan sont les collines qui se transforment progressivement. Enfin, le troisième et dernier plan, l’horizon, avec les montagnes et les pics. Techniquement, vous avez fait un panoramique sur le paysage ave zoom progressif terminant sur le col.

Une autre technique possible est celle du traveling (le cadre ne change pas, mais la caméra se déplace). Cela fonctionne à merveille pour les descriptions de rues. Vous passez d’un magasin à l’autre, donnant aux joueurs l’impression d’avancer, de circuler à grande vitesse, et vous restituez ainsi la précipitation, l’accumulation des objets et des gens propres aux cités.


Jeux de construction : les descriptions architecturales

Comme toujours, il est plus facile de s’inspirer de ce que l’on connaît. La difficulté essentielle réside dans l’emploi de quelques termes techniques qui vous permettront de varier vos descriptions de monuments. Faites vous, comme pour les personnages, des fiches de termes techniques. Essayez de trouver des associations entre les formes architecturales et les fonctions des bâtisses que vous décrivez. Les monuments associés au pouvoir sont souvent imposants. Plus le pouvoir est oppressif, totalitaire, militaire, plus ses bâtiments sont grands et opaques (pierre et acier) ; pensez aux architectures fascistes. Au contraire, vous pourrez associer à un mode de gouvernement sage et équilibré des architectures légères, avec beaucoup d’ouvertures, et pourquoi pas des parois de cristal ou autres matériaux transparents.


Des combats homériques

Là, pas de mystère. Lorsque vous simule un combat, un bon dessin de la situation et quelques figurines sont pratiques, voire indispensables. Mais quelques descriptions en plus vont apporter du rythme, des images fortes, et transformer une passe d’armes en un duel homérique. Pour cela, n’hésitez pas à faire des arrêts sur image, pour faire quelques gros plans : « Ta lame bloque le coup de ton adversaire à quelques centimètres de ton visage. Vous restez, le temps d’un battement de cœur, à vous observer. Tu lis dans son regard la haine et la folie. (Haussez la voix, parlez un peu plus vite). Puis il se dégage, se remet en garde, et t’attaque à nouveau!» Le combat reprend alors son cours normal, c’est-à-dire technique : jet d’attaque, de défense, etc.

De même, n’hésitez pas à cadrer sur ce qui se passe à côté du combat. Pensez cinéma! Posez vous toujours la question : en fonction de la façon dont se déroule le combat, que peuvent voir les personnages ? S’ils ont le dessus, ils peuvent prendre le temps de jeter un coup d’œil circulaire (c’est-à-dire que vous, MJ, prenez le temps d’un coup d’œil pour eux). Pensez par exemple au duel de Cyrano : il balaie son adversaire, et se permet de regarder la façon dont le public réagit. Enchaînez les actions : un personnage se fend et perce le ventre d’un PNJ. L’épée encore dans le corps de l’adversaire, décrivez : « Tu vois l’étonnement, la douleur sur son visage, puis tu entends un bruit, un grand fracas de métal, là, à ta droite. Restol est en difficulté. Que fais-tu ? »

Si vous insérez un combat dans une scène de plus grande ampleur (une bataille navale par exemple), n’hésitez pas à faire ainsi quelques panoramiques. Procédez toujours par plans. Le visage de l’adversaire, premier plan (le sang qui coule sur son front), ce qui se passe dans son dos, deuxième plan (quelques hommes qui se battent sur le pont en une mêlée confuse) puis un détail au loin, troisième plan (une voile qui s’embrase), ce qui permet de faire un panoramique sur l’ensemble de la bataille (tous les vaisseaux sont maintenant engagés, formant une véritable forêt de mâts et partout retentissent les cris des hommes et le bruit des épées). Pensez encore et toujours cinéma. Le MJ doit être comme un reporteur virtuel sur les lieux qu’il décrit. il doit s’y déplacer mentalement.


Clap de fin

Ne décrivez pas tout. Les rôlistes ont suffisamment d’imagination. Vos silences, tout ce que vous ne direz pas, seront autant de moments où ils pourront délirer. N’essayez jamais, par exemple, de décrire un monstre extraterrestre et innommable : quelques adjectifs suffiront, et les cauchemars de vos joueurs feront le reste.

Les descriptions font respirer la partie. Faites alterner soigneusement les scènes plus poétiques, plus lentes, où vous décrirez ce que voient les personnages, et les scènes où cela bouge, où les joueurs ont la parole, que ce soit dans la réalisation d’actions ou dans les dialogues avec les PNJ.

Au final, n’oubliez pas que le jeu de rôle est fait pour s’amuser, et que cela n’est ni une performance d’acteur, ni un concours d’éloquence. C’est cependant une forme moderne du conte traditionnel : à vous de trouver l’équilibre entre le plaisir ludique et la redécouverte de l’art du conteur.


Article issu du Casus Belli 91, écrit par Antoine Chéret et illustré par Didier Guiserix

Je crois que ce sont les petites choses, les gestes quotidiens des gens ordinaires qui nous préservent du mal.

Gandalf