Considérons que depuis quelque temps, une partie de la population est «sensibilisée » au jeu de rôle, Vous finirez donc bien par tomber sur un ami Ou un parent, curieux ou inquiet, qui voudrait «comprendre ce que tu fais, enfermé pendant des heures avec tes copains ». Pas toujours facile de sortir alors une explication claire… Voici quelques conseils pour éviter de bafouiller ou, pire, de convaincre sans le vouloir que les rôlistes sont des doux dingues.
Quoi raconter et à qui
Pour faire œuvre utile, il faut éviter deux pièges classiques : vouloir expliquer fout le jeu de rôle, sous toutes ses coutures ; el se retrouver à expliquer l’heroie fantasy ou le cyberpunk, au lieu du jeu lui-même.
- Comprendre ce qu’est le jeu de rôle demande une certaine dose d’attention de la part de votre interlocuteur. Il doit à la fois en comprendre le fonctionnement (qui met en œuvre quatre ou cinq mécanismes différents} et en voir l’intérêt ludique. |] est un peu comme quelqu’un du siècle dernier qui voudrait comprendre le plaisir qu’il y a d’aller au cinéma, tout en refusant d’y aller lui-même. Dans ce cas, si vous commenciez par expliquer le mécanisme du projecteur ou la chimie du développement de la pellicule, vous auriez tout faux. Pour être écouté et compris, il faut aller vers son interlocuteur, savoir l’intéresser, utiliser ses références à lui et aller à l’essentiel, donc savoir faire l’impasse sur des facettes du jeu qui vous entraîneraient dans trop d’explications. Ne préparez pas un « discours type », à resservir mot pour mot à la moindre occasion. Vos parents (« Dis donc, j’ai vu à la télé… »), votre proviseur (« à propos de votre club… ») et voire petite amie (« Tu vas y passer l’après-midi et la soirée! ») ne s’intéressent pas au jeu de rôle pour les mêmes raisons! S’adapter à l’interlocuteur, c’est déjà sentir son degré d’écoute: peut être buté et désireux de se débarrasser de vous (soyez bref}, ou bien hostile a priori mais ayant besoin de s’informer (soyez clair). où même neutre avec l’esprit ouvert. Enfin, restez simple! Le jeu de rôle est un loisir, pas une psychothérapie ou un exercice philosophique. Je me souviens lors d’une Convention, d’un meneur de jeu bien intentionné qui expliquait à des parents que dans un jdr, le MJ « objectivait le réel » pour les personnages. Il voulait dire par là qu’il leur décrivait le décor et l’action mais je n’ai pas compris tout de suite… Et tout était l’avenant. Quand les parents sont partis, ils n’étaient pas rassurés…
- Il ne faut pas confondre le jeu de rôle avec ses thèmes, En lui-même, le jeu est un principe, une façon de raconter des histoires, comme le roman et le théâtre. Or pour votre interlocuteur, c’est surtout le thème qui risque de paraître étrange : des dragons et des magiciens ? Et quoi encore ? Si la personne en face de vous ne partage pas vos goûts musicaux ou littéraires, vous risquez, faute de vocabulaire commun, d’avoir du mal à vous comprendre. Le plus évident de ces fossés reste la différence d’âge (mais ce n’est pas le seul!). Nous ne vivons plus dans le même monde que nos grands-parents, ni même que nos parents. Nous sommes beaucoup plus imprégnés de culture anglo-saxonne qu’eux. Lorsque vous vous adressez à une personne d’une autre génération, essayez de trouver des thèmes qui lui «parlent». Si vous expliquez un jeu sur les années 20, ne mentionnez pas Lovecraft, qui ne lui dira rien. Parlez plutôt d’Arsène Lupin, d’Agatha Christie, ou même du Club des Cinq ou des Six Compagnons (deux séries «classiques » de la Bibliothèque verte dont les héros forment une équipe et résolvent des mystères). Même chose pour Tolkien et le médiéval fantastique en général. Parlez des contes de fées, des chevaliers de la Table ronde, mais ne vous lancez pas dans une analyse de l’œuvre de Moorcock si celui qui est en face de vous n’en a jamais entendu parler! En revanche, avec quelqu’un de la génération «30-40 ans», vous pouvez plus facilement donner des exemples dont il aura sûrement entendu parler (La guerre des Étoiles et Indiana Jones sont deux bonnes références)
Périphrases & Circonvolutions, règles avancées
Dans la série «méfiez-vous.… », une anecdote. Un jour, je me suis retrouvé à expliquer Vampire à une vague relation. Après m’avoir écouté patiemment, il m’a déclaré très sérieusement qu’il allait prier pour le salut de mon âme. L’exemple est un peu extrême, mais il y a une morale à en tirer. Sans sombrer dans le politiquement correct, évitez de mentionner des éléments dont vous avez l’impression qu’ils pourraient perturber ou offenser votre interlocuteur. Le concept de «dieux » (au pluriel), notamment, peut attendre
que vous ayez clairement expliqué qu’il s’agit d’un jeu, et pas d’une activité ésotérique bizarre.
Deux approches possibles
En gros, il y a deux angles de départ possibles, qui conduisent à deux explications, très différentes l’une de l’autre, mais tout aussi valables… Et ces deux points de vue ne sont pas incompatibles, loin de là!
Dans «jeu de rôle », il y a «jeu »…
Le jeu de rôle est, d’abord et avant tout, un jeu de société. C’est sans doute l’angle sous lequel il est le plus facile à prendre. Vous pouvez présenter le meneur de jeu comme un arbitre, qui interprète les règles, et expliquer que les autres joueurs travaillent ensemble, en équipe. Ce n’est pas tout à fait vrai, mais cela suffit pour commencer. Une fois de plus. partez de choses connues. Ce bon vieux Cluedo est une bonne référence: les pions y sont individualisés, et le but du jeu est de résoudre une énigme policière. À partir de là, vous pouvez rajouter qu’il n’y a pas de plateau, que les pions ne sont pas obligatoires et que le Dr Lenoir peut avoir été tué par une personne extérieure, qui à semé de faux indices. N’oubliez pas, au cours de votre explication, de glisser que ce n’est qu’un exemple, et qu’il existe beaucoup d’autres possibilités. Côté matériel de jeu, les dés «biscornus » ont toujours un certain succès. Ils sont un élément de réalité bienvenu dans votre discours, surtout si vous avez l’impression d’être trop abstrait. N’hésitez pas à les sortir. Les figurines fascinent également certaines personnes, surtout si elles sont peintes, mais elles risquent de vous faire sortir du sujet (et bonjour la digression sur lés techniques de peinture.….). Enfin, évitez de sortir un bouquin de 300 pages en disant: « Ça, c’est la règle! » D’abord parce que c’est rarement vrai (à l’exception très notable d’AD&D, même les livres de règles les plus denses comportent toujours de copieux chapitres d’univers ou des scénarios). Ensuite, parce que vous risquez de passer pour un maniaque qui occupe ses loisirs à apprendre par cœur le Code civil… Surtout, ne soyez pas trop technique. C’est sans doute le piège le plus difficile à éviter. Vous commencez par une explication, simple, puis vous dérivez petit à petit. et brusquement, vous Vous retrouvez empêtré dans la différence entre les caractéristiques et les compétences. Essayez, pour voir, de mentionner incidemment « [d8 +4» dans une conversation avec un néophyte. Il décrochera tout de suite! Il est plus sage de se contenter de lui dire que le personnage est défini par quelques chiffres, et que les règles permettent de calculer, grâce à ces chiffres, s’il réussit ou non les actions qu’il entreprend.
Un exemple parlant est celui des notes sur 20: lorsqu’un élève passe le Bac, il obtient des notes dans diverses disciplines, qui traduisent un peu son profil. Créer un personnage, c’est l’inversé: on dispose d’un quota de points, et on les répartit entre ces disciplines, selon le type de personnage qu’on désire jouer : 18 en gym, 18 en langues. 12 en philo, mais 7 en maths, pourront donner un journaliste porté sur les reportages à caractère humaniste, par exemple. En cours de jeu, si ce personnage veut faire une prouesse physique, il lance un dé à 20 faces : de 1 à 18, il réussit ; sur 19 ou 20, il rate. Si par contre, il doit essayer de comprendre une énigme de type logique mathématique, il ne réussira que sur un résultat de 1 à 7, et ratera de 8 à 20.
Bien sûr, ce système n’est utilisé par aucun jeu, mais il pourrait l’être. Et c’est le principe qui compte! En tout cas, n’utilisez pas les règles de votre jeu préféré! Elles sont sans doute très bien, mais elles vous obligeraient à expliquer les caractéristiques, le type de dés, la table ou la formule de résolution des actions. Réservez tout ça quand vous devrez faire jouer leur première partie à des débutants. Pour l’instant, vous vous adressez à des candides qui ont l’intention de le rester…
… Et il y a «rôle»
Vous pouvez également présenter le jeu de rôle comme une «machine à vivre des histoires», en définissant le meneur de jeu comme un conteur et les personnages comme les héros d’un roman. Dans ce cas, insistez sur la variété des univers de jeu, et précisez que chaque partie se joue autour d’un scénario. Ce dernier est une sorte de «nouvelle en kits (les éléments y sont, il suffit de rajouter les personnages pour avoir une histoire).
C’est sans doute l’approche la plus simple si votre interlocuteur ne s’intéresse pas au jeu en général, mais c’est un terrain un peu plus glissant, où vous avez intérêt à faire attention à ce que vous dites.
Si vous le sentez, vous pouvez improviser, en deux ou trois phrases, un petit bout de situation, que vous terminez par le célèbre « qu’est-ce que vous faites ?». Exemple : «Tu es un détective privé, engagé pour retrouver une jeune fille qui à disparu. Ton enquête t’a conduit au « Black Diamond », un bar louche. Un informateur t’a dit qu’un certain Joe pourrait peut-être te donner des tuyaux. Le bar est petit, enfumé et crasseux. Il y à un barman et deux consommateurs. Que fais tu?» Improvisez une phrase où deux autour la réponse de votre candide, et concluez par « Voilà: maintenant, tu sais ce que c’est que le jeu de rôle.»
Autre exemple, pour votre grand-mère qui aura peut-être du mal à s’imaginer en détective dans un bar louche : «Tu campes au fond d’une gorge. Soudain. une voiture percute le parapet du pont, tout en haut de la gorge. La voiture bascule. mais elle est retenue par un arbre, qui ne tiendra pas longtemps. Que fais-tu ? Si vous choisissez bien votre exemple, c’est une technique extrêmement efficace.
Conservez toujours un minimum de distance, et écoutez ce que vous êtes en train de dire. Évitez les exagérations et autres hyperboles, surtout si vous parlez à un journaliste. Honnêtement, la fois où vous avez sauvé la princesse et tué le dragon. est-ce que ça a vraiment été le plus beau jour de votre vie ? Si c’est le cas, changez de vie! À l’œil nu, la différence entre le «passionné essayant de faire partager sa passion» et le «fanatique tentant de propager ses croyances » est assez difficile à faire ; on le voit à chaque reportage télévisé.
Prenez toujours grand soin de faire la distinction entre « moi» et «mon personnage ». Nous savons qu’en disant «et alors, j’ai tranché l’orque en deux», c’est un raccourci commode pour dire « mon personnage à tranché l’orque en deux ». Mais votre candide n’a aucun moyen de le savoir. De l’extérieur, il peut avoir l’impression que vous êtes en train de délirer… Tant que nous sommes au rayon vocabulaire, parlez de «meneur de jeu», et non de « maître de jeu», qui sonne désagréablement hiérarchique, et qui n’est pas significatif de la fonction du MJ.
Faites également attention aux exemples que vous donnez. Un moment qui vous à semblé particulièrement grandiose autour de la table risque de sembler long et ennuyeux à quelqu’un qui n’en connaît pas le contexte. Là encore, il vaut mieux bricoler un ou deux exemples, qui ne seront pas nécessairement conformes à ce que vous avez vécu, plutôt que de perdre votre interlocuteur dans une histoire confuse…
Le jeu des questions-réponses
Une fois que vous avez posé les bases, votre interlocuteur aura sûrement des questions à poser. Attendez vous à des surprises. Votre candide sera probablement intrigué par une foule de choses tellement évidentes pour vous que vous n’avez pas pris la peine de les mentionner. Par exemple, le fait qu’il n’existe pas une seule règle pour tous les jeux, mais plusieurs centaines de systèmes différents, étonne souvent les curieux. Voici quelques questions prévisibles, avec des éléments de réponse.
« Mais alors, ce n’est pas?»
Non, ce n’est pas du grandeur-nature, ni un jeu informatique, ni du paintball. Vous aurez peut être envie d’expliquer aussi à votre interlocuteur toutes ces autres formes de jeu, mais un conseil : gardez ça pour une prochaine fois. Il y a une limite à la quantité d’informations que la plupart des gens sont capables d’assimiler en une seule lois. À trop vouloir dissiper les malentendus, vous risquez de les ancrer davantage dans l’esprit des nouveaux venus.
«Mais ce n’est pas dangereux?»
De temps en temps. vous tomberez sur Un interlocuteur plein d’a priori négatifs Dans ces cas-là, vous devez vous montrer deux lois plus psychologue! Mieux vaut savoir quelle est sa définition du jeu de rôle et, en partant de là, de lui expliquer point par point qu’il se trompe… surtout sans le lui dire! Il n’y a pas de meilleur moyen pour braquer quelqu’un que de lui donner l’impression que vous détenez la vérité, et que tout ce qu’il croit savoir est faux. Si vous tombez sur un individu persuadé que le meneur de jeu est un gourou qui lave le cerveau de ses joueurs. repartez du début, et plus précisément de l’aspect » jeu du jeu de rôle (sans oublier d’ajouter que le boulot de MJ passe souvent de joueur en joueur d’une partie à l’autre). Si, au contraire, votre interlocuteur pense que c’est quelque chose qui se joue avec des calculatrices et qui exige d’être un «matheux, parlez des scénarios… La télévision a malheureusement, joué de l’amalgame pour semer confusion et préjugés dans l’esprit du grand public. II est difficile de savoir s’ils dureront, mais pour l’instant, ils sont là. Si votre interlocuteur est du genre à croire tout ce qui passe à la télé, vous pouvez allumer un contre-feu. Les articles consacrés au jeu de rôle par la presse (quotidienne ou hebdomadaire) sont généralement moins sensationnalistes et plus objectifs. Lorsque vous en lisez un d’intéressant, découpez le pour le montrer à votre interlocuteur, quitte à construire votre argumentation autour.
«Mais pour un jeu, ça dure longtemps, non?»
La seule réponse honnête que vous puissiez faire est « c’est vrai! ». Cela dit, il faut pondérer… Sur une partie de quatre où cinq heures, vous pouvez sans mentir préciser qu’il y en à au moins une de consacrée à grignoter, aux diverses digressions sur le dernier film. et ainsi de suite. C’est un bon moment pour présenter l’aspect convivial du jeu de rôle.
Et puis, tous les loisirs, lorsqu’ils sont pratiqués par des passionnés, sont gourmands en temps. C’est le cas du jeu de rôle, mais aussi de pratiquement tous les sports, du bridge ou des échecs. Faites le remarquer à votre interlocuteur, si possible en lui donnant un exemple tiré de votre expérience commune.
«A quoi ça sert?»
La culture est pratiquement le seul argument que vous puissiez sortir à quelqu’un qui veut à tout prix savoir «à quoi ça sert».
Certains jeux de rôle permettent d’acquérir des connaissances en histoire et en géographie (L’appel de Cthulhu, miles Christi, Légendes…). Même en se cantonnant au livre de règles, il y a moyen d’enregistrer quelques informations sur telle ou telle époque. Et puis, beaucoup de jeux proposent une bibliographie. et nombre de MJ se documentent avant d’écrire un scénario.
Dans une certaine mesure, le jeu de rôle est un bon outil pour apprendre l’anglais. Certes, l’époque où c’était un loisir réservé à une minorité d’anglophones curieux est révolue depuis longtemps. Mais la majorité des jeux viennent encore des États-Unis, et il se trouve toujours des courageux pour s’attaquer à la VO, dictionnaire en main.
Et combien d’adolescents, ayant jusqu’alors boudé la lecture, se sont mis à dévorer des romans, parce qu’ils voulaient connaître les univers de Tolkien, de Lovecraft ou de Leiber ?
Mais entre nous, la culture est plus un alibi qu’un argument. Pourquoi faudrait il que le jeu de rôle serve à quelque chose? Un jeu, c’est fait pour jouer, un point c’est tout ! On ne demande pas aux joueurs de Monopoly de se documenter sur le marché immobilier avant de faire une partie. Pourtant un des vrais bonus du jeu de rôle, moins mesurable qu’une éventuelle progression des notes en histoire et en anglais, c’est que c’est un fabuleux outil de sociabilisation. Autour d’une table de jeu de rôle, on apprend à laisser sa timidité au vestiaire, à parler en public, à écouter l’avis des autres, à résoudre des situations problématiques, à agir ensemble. Et cela, à l’heure de l’individualisme et du chacun pour soi, ce n’est pas négligeable.
Se prendre en main
Expliquer le jeu de rôle est compliqué, fatiguant, et si vous le faites régulièrement, vous risquez d’avoir l’impression que ça ne sert à rien. Certaines personnes ont une façon très déprimante de comprendre ce qu’elles veulent comprendre, sans vraiment vous écouter. Ce n’est pas une raison pour vous taire et attendre que quelqu’un d’autre fasse le travail à votre place. L’information est un travail de fourmi, qui doit se faire à tous les niveaux. Si tout le monde s’y met, le jeu de rôle finira bien par se débarrasser de la réputation vaguement sulfureuse qu’il traîne actuellement.
Profession : docteur en jeu de rôle
La pédagogie, cela s’apprend… tout comme le jeu de rôle. N’hésitez pas à interrompre votre explication pour demander «tu me suis toujours ?». Quoi qu’il advienne, gardez votre calme, même si vous sentez que la discussion ne va pas dans votre sens. Vous pouvez avoir l’impression que votre interlocuteur est bouché, ou qu’il est de mauvaise foi. Aucune importance! Essayez de comprendre à quel endroit il a décroché, et repartez de là, en reformulant différemment ce que vous lui avez déjà dit. Une meilleure compréhension de notre passe-temps favori vaut bien un peu de patience.
Article issu du Casus Belli 91, écrit par Tristan Lhomme et illustré par Eric Puech