Cthulhu – Le jour des lumières

Pour un groupe de joueurs et d’Investigateurs novices ou même moyennement expérimentés, sous la houlette d’un Gardien des arcanes ayant déjà un peu de bouteille.

Introduction des Investigateurs

Un été comme les autres sur la côte est des États-Unis, pendant les Années folles. Virginia Forrest, la richissime héritière des aciéries Forrest, vient de disparaître mystérieusement. Elle séjournait, avec des amis, dans la petite station balnéaire de New Haven, dans le Connecticut. Un beau matin de juillet, elle est partie faire une promenade en forêt, et elle n’est jamais revenue. Les battues n’ont rien donné. Depuis bientôt dix jours, la police est dans le brouillard. La presse accumule les théories absurdes, de l’enlèvement à l’accident plus ou moins arrangé en passant par la fugue.

Comment impliquer les Investigateurs dans ce qui n’est, après tout, qu’un fait-divers banal? Comme toujours, réfléchissez y un peu à l’avance. L’excuse du « c’est une amie/cousine/nièce de l’un de vous » fonctionne toujours, mais à condition de l’utiliser avec parcimonie. Si vous avez affaire à des personnages novices, appuyez vous sur leurs professions. Un journaliste ou un détective privé a toutes les raisons du monde de s’intéresser à l’affaire (le privé sera engagé par l’oncle de la jeune fille). En désespoir de cause, vois pouvez toujours décider que les PJ sont en vacances dans la région (quitte à ouvrir le scénario sur la disparition, les recherches infructueuses, etc.). La famille de Virginia offre 5 000 $ à quiconque pourra donner des informations sur ses faits et gestes. Avec une telle motivation, même le plus placide des touristes peut se transformer en détective amateur!

Paradoxalement, les Investigateurs plus expérimentés posent moins de problèmes. Après quelques scénarios, ils ont appris à faire leurs valises (sans oublier la dynamite), et à galoper docilement d’un bout à l’autre des États-Unis à chaque fois que le Gardien leur met sous les yeux un incident anodin. Or, l’affaire Forrest présente une particularité qui la fait sortir du royaume de l’anodin pour entrer dans le fantastique.… Une semaine avant la disparition de Virginia, les habitants de New Haven ont vu de «grandes lumières multicolores» dans le ciel. À ce moment-là, les autorités ont parlé d’un «curieux phénomène météorologique», et l’incident a été considéré comme clos. Les journalistes qui sont venus enquêter sur l’enlèvement de Mile Forrest en ont entendu parler, et ils n’ont pas manqué de le mentionner dans leurs articles. En fait, la théorie de l’enlèvement par les Martiens rencontre un certain succès dans la presse à deux sous, qui n’est pas disposée à laisser un malheureux décalage d’une semaine se mettre en travers d’une bonne histoire.


Ce qui s’est réellement produit

Prenons un peu de recul… Comme beaucoup d’investigateurs l’ont appris à leurs dépends, le temps n’est pas linéaire. C’est une dimension à part entière, avec ses pièges, ses lois et ses dangers. Il a produit des formes de vie intelligentes, qui perçoivent l’univers de manière très différente des créatures terrestres. Ces entités sont peu connues (à l’exception des chiens de Tindalos). Le mythe de Cthulhu n’y fait que de discrètes allusions.

Les Collectionneurs sont l’une de ces races temporelles. Contrairement à la plupart de leurs congénères, ils vivent «juste en dessous» du temps ordinaire et peuvent, parfois, se manifester brièvement sur Terre. Certains passent dans notre univers tous les dix ou vingt mille ans; d’autres s’intéressent de plus près à l’humanité, et vont même jusqu’à prélever des spécimens d’animaux terrestres. L’un de ces Collectionneurs à fait irruption dans notre espace temps juste avant la disparition de Virginia. Il a enlevé un vieux pêcheur, dont personne n’a encore remarqué la disparition, puis il est sagement rentré dans son monde. Malheureusement, il a laissé quelqu’un derrière lui… L’une de ses prises précédentes s’est évadée.

Jason Keplen a vécu à Londres au XVI siècle. Sous le couvert d’un paisible commerce d’épices, il s’intéressait à la magie noire. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu d’être enlevé par une entité d’outre-temps.

Il a profité du bref séjour de son ravisseur sur Terre pour s’enfuir. Il s’est retrouvé dans la forêt, non loin de New Haven, pratiquement sous le nez d’un groupe de pique-niqueurs. Virginia en faisait partie. Elle lui à tout de suite plu. Grâce à un peu de sorcellerie élémentaire, il a brouillé a mémoire des autres convives, avant d’avoir une longue conversation avec Virginia. Cette dernière est une jeune fille curieuse, intelligente, mais assez influençable. Il n’a pas eu trop de mal à la convaincre de l’aider sans rien dire à personne {ne sachant rien de l’époque où il à atterri, il a décidé de garder un profil bas pendant quelque temps, jusqu’à ce qu’il se soit familiarisé avec les coutumes locales).

Quelques jours plus tard, Virginia retirait de l’argent à sa banque, puis allait tenir compagnie à Jason, qui l’attendait dans un motel perdu à l’intérieur des terres. En bon magicien noir, Jason envisage de la séduire avant de la sacrifier, d’ici quelques semaines.

Il ignore que le Collectionneur est à sa poursuite. Grâce à un formidable effort de volonté, cette entité s’est solidifiée » dans l’espace temps local, et a entrepris de fouiller la région. Cette créature dispose de pouvoirs considérables, mais ignore tout de la société humaine.

Le rideau se lève, et les PJ entrent en scène.


New Haven

Premières impressions

New Haven est une petite ville ordinaire, comme il y en a des douzaines en Nouvelle-Angleterre: un groupe de grandes maisons en bois peintes en blanc, au milieu d’un paysage de falaises et de verdure. La ville est nichée au fond d’une petite baie. Il reste quelques bateaux de pêche dans le port, mais on y trouve surtout de petits voiliers de plaisance, pour la plupart enregistrés à Boston.

Les lieux les plus remarquables sont la grande plage, une demi-douzaine d’hôtels, un casino et un phare, sans oublier quelques fermes «adorablement typiques » dans l’arrière-pays… Il fait beau et chaud. Bref, c’est l’endroit idéal pour passer de bonnes vacances.

En temps normal, la ville doit être parfaitement tranquille. Depuis la disparition de Virginia, toutefois, ce n’est plus tout à fait vrai. Les touristes habituels (snobs, riches et calmes) ont cédé la place aux amateurs de sensations fortes et aux journalistes. La population a l’impression d’être envahie par une bande de barbares grossiers, et ne fait aucun effort pour le dissimuler. Ne l’oubliez pas lorsque les PJ discuteront avec les New-Havenais…


L’Imperial Hôtel

C’est l’établissement le plus luxueux de la ville. Le personnel est stylé et peu bavard, et certainement pas désireux de raconter pour la n-ème fois les circonstances de la disparition de Mile Forrest. Au grand désarroi du réceptionniste, plusieurs journalistes se sont installés dans le grand salon. De ce poste d’observation commode, ils surveillent en permanence les allées et venues des touristes, et notamment des amis de Virginia. Ils ne manqueront certainement pas les PJ!

Le réceptionniste, les grooms et les femmes de chambre sont méfiants et réticents, mais pas muets. Aux Investigateurs de faire preuve de charme et de diplomatie!

Avec un peu de patience, ils pourront glaner les informations suivantes :

  • Mlle Forrest est arrivée, avec un groupe d’amis, il y a un peu moins de trois semaines. Elle avait réservé pour un mois, et sa chambre n’a pas été touchée depuis le jour de sa disparition (par le personnel, s’entend. La police est déjà passée).
  • Pour autant que le personnel le sache, elle n’a rien fait de particulier pendant son séjour. Elle était assez cassante avec les domestiques, mais «tous les richards sont pareils ».
  • Les amis de Mlle Forrest sont toujours là.

La chambre 612

Virginia s’était installée dans une grande chambre d’angle, luxueusement meublée. Toutes les femmes de chambre ont un passe qui permet d’ouvrir la porte. Il n’y a malheureusement pas grand-chose à trouver, à part des quantités de vêtements élégants et quelques lettres banales.

Un jet de TOC permet de repérer, au fond d’un sac à main, un ticket de caisse, délivré par la librairie Smith & Sons (la seule de New Haven). Il y en a pour une cinquantaine de dollars, ce qui est une somme assez élevée. La police et les journalistes ont manqué cet indice, mais si les PJ filent directement à la librairie sans prendre un minimum de précautions, la presse sera sur leurs talons, et l’information sera à la une dès le lendemain.


Smith & Sons, libraires

Un petit magasin tranquille, au fond d’une arrière-cour. Martha Smith, la propriétaire, est âgée, un peu sourde et sort peu. Elle est au courant de la disparition de Virginia Forrest, mais n’a pas fait le rapprochement entre la jeune fille et « cette drôle de cliente ». Les Investigateurs seront sûrement ravis d’apprendre que, deux jours avant de disparaître, Virginia a acheté un atlas, deux ouvrages d’histoire contemporaine, un dictionnaire et cinq romans policiers. Aucun de ces ouvrages n’était dans sa chambre.


Les amis

Les trois amis de Virginia passent l’essentiel de leur temps enfermés dans leur chambre, seul endroit où ils sont sûrs de ne pas se faire accoster par les journalistes. En général, ils se contentent d’une promenade d’une heure, aux alentours de minuit. Ils passent par l’escalier de service. Leur seul autre contact avec les New-Havenais est le shérif, à qui ils téléphonent régulièrement pour demander la permission de rentrer à Boston. Le shérif refuse systématiquement.

Là encore, les manœuvres d’approche des Investigateurs devraient être amusantes à observer. Ils peuvent se déguiser en serveurs et leur monter un repas, les aborder au cours de leur balade quotidienne, se montrer prodigieusement persuasifs au téléphone.

Le groupe se compose de :

  • Georges C. Sonneval II : Un play-boy bronzé, habituellement souriant. Sa réclusion forcée commence à lui porter sur les nerfs, et il sera heureux de boxer le premier importun qui lui tombera sous la main (Poings 65 %). Après coup, il sera navré.…
  • Frederica Raven : Une jeune fille mince et élégante, qui garde la tête froide même dans ces circonstances. Elle est observatrice, intelligente et pratiquement immunisée au Baratin. Les PJ ont intérêt à être sincères avec elle.
  • Max T. Hanson : Petit, mince et visiblement très nerveux. C’est juste un effet secondaire de la tension de ces dernières semaines, mais des PJ paranoïaques pourraient y voir un signe de culpabilité.

Tous trois racontent la même histoire : ils sont venus passer un mois de vacances tranquilles, entre jeunes, avant de rejoindre leurs parents respectifs pour un séjour «mortel» sur la Côte d’Azur. Tout s’est parfaitement bien passé jusqu’au jour où ils ont pique-niqué dans la forêt, il y a un peu plus de deux semaines. Ils entamaient le dessert lorsqu’il y a eu une grande lumière, à quelques centaines de mètres (ils ne sont pas d’accord sur la couleur) Les deux hommes l’ont vue rouge, Frederica l’a vue verte). Ils sont allés voir. Ils parlent tous d’une odeur d’ozone «mais en dehors de ça, il n’y avait rien, alors on a été finir le cake ». Un jet de Psychologie donne l’impression que quelque chose cloche dans leur histoire. Malheureusement, ils la répètent sans hésiter, encore et encore, et ne donnent pas l’impression de mentir. Une petite séance d’hypnose (voir plus bas) pourrait être instructive. Encore faudra-t-il que les PJ y pensent. Après cet incident, ils sont rentrés à l’hôtel, et Virginia a disparu juste une semaine plus tard. Non, elle ne leur à pas semblé particulièrement bizarre. Ils sont surpris d’apprendre qu’elle a acheté des livres, mais après tout, pourquoi pas ?


La police

Le shérif Johnson est un homme très malheureux. Il a l’habitude de gérer une petite communauté tranquille, et il se retrouve soudain sous le feu des projecteurs. Il a sa toute nouvelle célébrité en horreur. Elle le rend hargneux. Les PJ risquent d’avoir beaucoup de mal à travailler avec lui. Tous les deux ou trois jours, il organise une conférence de presse, au cours de laquelle il annonce aux journalistes qu’il a la situation bien en main, que l’enquête progresse et que de nouveaux éléments permettent d’espérer une arrestation imminente. Il ne fait même pas l’effort d’essayer d’être convaincant, et les journalistes ne se gênent pas pour se payer sa tête dans leurs articles.

Il y a de fortes chances pour que les PJ le considèrent comme un lourdaud sans intérêt et ne prennent même pas contact avec lui. Ils auraient tort. Il est intelligent, et dispose d’un petit bout d’information qu’il n’a pas confié à la presse, et qui est du plus haut intérêt. Deux jours avant sa disparition (juste avant d’acheter des livres), Virginia s’est rendue à la banque de New Haven et a fait virer deux mille cinq cents dollars de son compte en banque. Elle les a ensuite retirés, en liquide. (« Alors, les calembredaines sur les martiens mafieux venus de l’espace, vous pensez si j’y crois! Elle a filé rejoindre un amant, et elle reviendra un jour ou l’autre… »). Johnson ne confiera cet élément qu’à des gens «dignes de confiance» (aux PJ de le mériter). Si, par malheur, la presse venait à l’apprendre par la suite, il leur en voudrait beaucoup.

Et si… les PJ ne vont pas voir le shérif?

Il se trouvera bien un journaliste plus malin que les autres pour faire la tournée des magasins avec une photo de Virginia, puis pour faire parler les employés de la banque. En fait, les PJ peuvent même le faire eux-mêmes, surtout après le passage à la librairie. Le shérif à beaucoup insisté auprès de M. Darnforth, le banquier, pour que cette information ne soit pas diffusée… Mais les Investigateurs finiront bien par faire parler les employés.


Le professeur Small

Les Investigateurs ne sont pas les seuls à s’intéresser à l’affaire. Maximilian T. Small est également sur la piste. Small exerce la profession de «bizarrologue». Autrement dit, il collecte des informations sur tous les événements étranges dont il entend parler, puis les met bout à bout pour former des théories provocatrices, et généralement incorrectes. Il a déjà publié une demidouzaine d’ouvrages, que le grand public s’arrache et que les critiques préfèrent ignorer (Small entretient des relations conflictuelles avec les

journalistes présents. Il leur a donné plusieurs interviews, et ils l’ont ridiculisé sans merci. Depuis, il refuse d’adresser la parole à tout ce qui ressemble de près ou de loin «à l’un de ces satanés scribouillards parasites ».)

Small est obèse, âgé, barbu, et peu soigné de sa personne, C’est un bavard invétéré, et il considère les Investigateurs comme un public de choix…

Small se moque éperdument des circonstances de la disparition de Virginia. «La pauvre fille est perdue, et on ne la reverra jamais. » Il est persuadé qu’elle a été enlevée (et sans doute dévorée) par les «monstres de lumière», qui vivent dans ta haute atmosphère et descendent de loin en loin prendre une proie.

Son principal objectif est de discuter avec les amis de Virginia. Il occupe son temps libre à interroger les villageois sur «le jour des lumières », et à gribouiller dans un volumineux cahier d’écolier.

Si vous le jouez bien, les PJ devraient vite avoir envie de l’étrangler. Ce serait une erreur! C’est un hypnotiseur compétent, et il pourrait tirer quantité d’informations intéressantes des amis de Virginia (encore faudrait-il les convaincre de recevoir «le gros phoque cinglé», comme l’a baptisé Georges).


La séance d’hypnose

Siles PJ s’arrangent pour qu’elle ait lieu, faites en sorte qu’elle soit impressionnante. Baissez les lumières, faites brûler un peu d’encens, et laissez les PJ poser des questions par l’intermédiaire de Small.

Comme ils l’ont déjà raconté, les pique-niqueurs ont vu une grande lumière et s’en sont approchés. L’odeur d’ozone était suffocante. Il y avait une clairière, et «un trou dans l’air, qui sifflait ». Un homme est sorti de derrière les arbres. Il portait une tunique blanche… Virginia s’est approchée, et ils ont parlé pendant une dizaine de minutes. Ensuite, l’homme en blanc est venu jusqu’à eux, et leur a ordonné d’oublier. Ils ont repris connaissance devant leur pique-nique. Virginia était avec eux, et ils avaient les faux souvenirs dont ils ont déjà fait profiter les PJ.

Et si les Investigateurs ne prennent pas contact avec Small ?

S’ils pensent à l’hypnose, ils ont toujours la possibilité de trouver un psychiatre à Boston et de le faire venir à New Haven. S’ils n’y pensent pas, les amis de Virginia commencent à retrouver petit à petit leurs vrais souvenirs. Ils font des rêves déplaisants, et finissent par en parler aux PJ…


Autres incidents

Si les PJ fraternisent avec les New-Havenais ou s’arrangent pour consulter la « main courante » du commissariat, ils peuvent apprendre deux petites informations que personne n’a encore connecté au reste de l’affaire.

  • Camilla O’Rourke a signalé, il y a une dizaine de jours, la disparition de son père. Le shérif a ouvert un dossier, mais ne s’y est pas particulièrement intéressé. Il a d’autres soucis. Camilla est une forte femme, très inquiète pour son père. Elle ne sait pas au juste quand il a disparu, mais elle l’a vu pour la dernière fois la veille du «jour des lumières ». John O’Rourke repose, de l’autre côté du temps, dans le musée privé du Collectionneur.
  • Quarante-huit heures après l’apparition des lumières, la ferme Philipps, qui se trouve non loin des bois, a reçu la visite d’un rôdeur. Il s’est emparé d’un pantalon, d’une chemise, de trois poulets et d’un panier plein de pommes. Les Philipps ont porté plainte. Si les PJ vont les voir, les fermiers se rappelleront un détail: Brute, leur berger allemand, n’a pas aboyé. En fait, ils l’ont retrouvé au fond de sa niche, profondément endormi.

La forêt

Première balade

Il a une longue bande de terrain boisé à quelques centaines de mètres du village. Elle s’enfonce assez loin à l’intérieur des terres. Hélas, elle n’a rien de sinistre ou d’étrange, du moins en temps normal. C’est une banale pinède, avec des sentiers balisés, des clairières aménagées et des tables de pique-nique, sans oublier quelques belvédères d’où l’on a une jolie vue sur la mer et New Haven. De jour, les Investigateurs croiseront des quantités de promeneurs.

En interrogeant patiemment les villageois et les touristes qui étaient présents «le jour des lumières », les PJ peuvent localiser le lieu de l’incident. C’est une clairière parfaitement ordinaire. En cherchant bien, ils peuvent trouver quelques marques de brulure sur certains troncs, mais dont l’origine extraterrestre ne saute pas aux yeux.


La nuit

Après le coucher du soleil, tout change. L’atmosphère se fait plus lourde, plus sinistre. Le gazouillement des oiseaux est remplacé par le hululement des chouettes. Les Investigateurs ont la sensation d’être observés. À plusieurs reprises, ils entendent des bruits bizarres non loin d’eux (de petits animaux, mais inutile de leur dire).

Petit à petit, la promenade devient franchement étrange. Le Collectionneur est dissimulé, invisible, tout près de la clairière où il a atterri. Il sait qu’en grand nombre, les humains peuvent devenir ennuyeux, et attend patiemment de pouvoir se montrer à un individu isolé, ou à la rigueur à un petit groupe. Les Investigateurs vont être victimes d’hallucinations. Le sentier semble faire des tours et des détours imprévus. Les arbres sont plus grands, plus menaçants. Des lumières multicolores brillent au-dessus d’eux. Des formes indistinctes s’approchent, puis disparaissent en ricanant. Utilisez tout cela pour les séparer. Une fois qu’ils seront livrés à eux-mêmes, Le Collectionneur se montrera. Faites un combat entre son POU (23) et le POU de chacun des Investigateurs. Ceux qui réussissent se sentent malades, mais ne voient rien de plus. Le Collectionneur pénètre dans l’esprit de ceux qui échouent. Ils vont alors souffrir d’une hallucination, qu’il vous appartient de déterminer en fonction de l’histoire personnelle de chacun. Ils sont dans un environnement familier et sécurisant, en compagnie d’un étranger souriant (ou d’un parent, d’un ami). Sous ce masque, le Collectionneur participera à la conversation.

Il ne sait rien de Virginia, n’a aucune notion du temps, mais, en revanche, se montre très ferme sur un point. Il veut retrouver très rapidement un dénommé Jason Keplen, qu’il décrit comme «un criminel qu’il a laissé échapper» (il n’est pas très précis sur la nature des crimes de Jason. En fait, il les décrira sans doute différemment à chaque PJ). Il leur projette une image de son gibier, qui ressemble de manière troublante à «l’homme en blanc » qu’ont vu les amis de Virginia. Il leur apprend aussi un petit chant qui leur permettra de l’appeler, s’ils trouvent Jason. Après quoi, la vision s’efface. Les Investigateurs se retrouvent sur un sentier forestier, en ayant perdu 1d3/1d6 points de SAN.


Face à face

Remonter la piste

Les Investigateurs vont sans doute finir par comprendre que la disparition de Virginia n’a rien de surnaturel. Elle est partie à pied. Dans ces conditions, elle n’a pas pu aller bien loin. C’est également le raisonnement du shérif, dont les hommes fouillent la moindre pension de famille à des kilomètres à la ronde. Il n’a eu aucun succès jusqu’ici, mais ce n’est qu’une question de temps. Les PJ ont toutes les chances de retrouver la jeune fille avant lui, à condition d’accepter de faire un peu de boulot de terrain, et d’user leurs semelles et leur patience à interroger tous les hôteliers et les chauffeurs de taxi de la région. Ils finiront par trouver un brave vieux qui a vu un couple qui se dirigeait, bras dessus, bras dessous, vers Jacksonville, quelques heures après la disparition de Virginia. C’est un gros village, dont le seul intérêt est une petite gare routière qui dessert une dizaine de destinations. En vingt-quatre heures, il est possible d’interroger les chauffeurs de tous les autocars. Un «drôle de couple» a pris deux billets pour Providence, ce jour-là.

Tôt ou tard, le shérif finira par en entendre parler. Mais Providence est dans un autre État, et il lui faudra au moins vingt-quatre heures pour mettre la police locale sur l’affaire.

Et si les PJ ne pensent pas à faire une enquête serrée dans les alentours?

Le meilleur moyen de les remettre sur la piste est sans doute de leur faire une grosse frayeur. Un matin, la presse affiche d’énormes manchettes, du genre : « Le corps de la jeune héritière a-t-il été retrouvé ?», «Meurtre atroce à Providence: la victime est-elle Mlle Forrest?» Les faits sont simples : hier matin, le gardien d’un cimetière a retrouvé le corps atrocement mutilé d’une jeune femme dans la chapelle d’une famille «Forrest» (sans liens de parenté avec Virginia). Le cadavre pourrait être celui de Virginia, mais son état le rend difficile à identifier. Le lendemain, les journaux publient des démentis embarrassés et annoncent qu’il s’agit d’une certaine Louise Bollings, «une fille de mauvaise vie».

En fait, Jason à eu envie de renouer avec ses anciennes habitudes. Il a quitté l’hôtel où il s’est installé avec Virginia, a ramassé une prostituée et l’a sacrifiée aux forces des ténèbres. Il considère cela comme une répétition générale du sort qu’il destine à Virginia, lorsqu’elle aura cessé de lui être utile.


Providence

C’est une grosse ville de province, froide et ennuyeuse. Jason et Virginia ont cherché refuge dans une paisible pension de famille, dans College Street (pour la petite histoire : ils sont à trois cents mètres de la résidence d’un jeune écrivain névrosé et amateur de chats, qui deviendra célèbre dans quelques années). Les retrouver ne sera pas bien difficile. De l’arrêt de l’autocar, Virginia a pris un taxi pour le centre-ville, et le chauffeur se souvient d’elle et de son compagnon taciturne.

Des PJ peu subtils se présenteront à la grande porte et demanderont à parler à Virginia. Elle a bien entendu, donné un faux nom (ils sont descendus sous le nom de M. et Mme Brown). Ils peuvent avoir une discussion avec Jason, s’ils insistent beaucoup. Il est froid, arrogant, et n’hésitera pas à manipuler leur esprit pour leur donner l’impression qu’ils ont eu une conversation anodine avec un brave type. Il est tout à fait possible que les Investigateurs sortent de la pension persuadés d’avoir suivi une fausse piste, et que cette illusion persiste jusqu’à la nuit suivante (leur mémoire revient à la normale au milieu de la nuit, et ils rêvent du vrai déroulement la scène).

Il serait plus intelligent d’attendre un moment où Virginia est seule pour l’aborder. Elle est très nerveuse, légèrement dans le brouillard et plutôt effrayée. Jason n’a pas trop touché à son esprit, de peur d’endommager les informations dont il a besoin. Elle éprouve quand même une certaine loyauté à son égard, et ne le trahira pas. Il ne lui a pas raconté grand-chose, sinon qu’il venait d’une autre époque et qu’il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé, Si Jason a déjà eu un contact avec les PJ, il implantera dans la mémoire de Virginia une histoire bancale à propos de poursuivants cruels. Si le meurtre de la prostituée n’a pas encore eu lieu, c’est un bon moment pour le mettre en scène.

Si les PJ tentent d’utiliser la manière forte contre Jason, ils se préparent des mésaventures douloureuses. Ce n’est pas un sorcier très puissant, mais il est dangereux. Il serait sans doute préférable de laisser la police s’en occuper (Jason a laissé des empreintes digitales un peu partout autour du corps de sa victime et, après tout, on peut prétendre qu’il a enlevé Virginia). Mieux, les PJ pourraient appeler le Collectionneur à la rescousse. Si c’est la solution qu’ils choisissent, vous pouvez vous offrir une fin à très grand spectacle. La créature répond instantanément à leur appel, et entreprend de détruire la pension de famille. Le toit et les murs s’effritent, pourrissent et tombent en poussière. Les humains qui se trouvent à l’intérieur fuient en hurlant, Les moins chanceux vieillissent de plusieurs années. Les PJ vont avoir fort à faire pour récupérer Virginia, qui se trouve dans le bâtiment. Ils sortiront juste à temps pour assister à la scène finale: une nappe de flammes aux couleurs changeantes illumine les alentours. Jason se débat et hurle, mais une flammèche plus rapide que les autres s’enroule autour de lui, Hurlant toujours, il est aspiré dans le ciel, où vient de s’ouvrir une sorte de déchirure noire. Il est englouti dans les ténèbres. et soudain tout disparaît. Les pompiers et la police arrivent, et commencent à poser des questions indiscrètes à tout le monde. À l’arrière-plan, un grand jeune homme songeur mordille un bout de crayon. Il rentre chez lui, ferme les rideaux, allure le chauffage et commence une histoire où il est question d’une «couleur tombée du ciel»…


Conclusion

Virginia va avoir besoin de quelques semaines de repos dans un sanatorium pour récupérer. A terme, elle pourra faire une alliée utile, tout comme le professeur Small. La médaille a quand même un revers : les PJ viennent de résoudre un fait divers qui a passionné le pays pendant quinze jours. Ils vont devoir concocter une version plausible des événements, puis la faire avaler aux journalistes. Et, bien sûr, leurs noms s’étaleront à la une de tous les journaux de la côte est, ce qui risque de beaucoup nuire à leur carrière d’Investigateurs (et à leur vie privée!),


Scénario issu du Casus Belli 91, écrit par Tristan Lhomme et illustré par Olivier Fraisier

Debout les campeurs et haut les cœurs, n'oubliez pas vos bottes parce que ça caille aujourd'hui. Ça caille tous les jours par ici...

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