Il y a des jets de dés qui laissent des cicatrices.
Le pire dont je me souvienne ? Un test d’acrobatie pour fuir la police. Une scène ajoutée pour donner un peu de vie à l’univers, une rencontre « aléatoire » pour colorer l’ambiance… et qui a soudain tout fait dérailler.
Les personnages joueurs devaient simplement grimper sur les toits pour échapper à une patrouille. Une action rapide, spectaculaire, presque cinématographique. Mais au lieu de laisser la scène filer, j’ai lâché cette phrase fatidique :
« Faites-moi un jet d’acrobatie pour voir si vous passez tous de l’autre côté. »
Et Murphy, cette vieille canaille, s’est invité à la table. Échec critique. Chute. Ralentissement. Malaise.
À ce moment-là, j’aurais voulu revenir en arrière. Mais la partie était lancée.
Le jet de dé par défaut : un réflexe (pas toujours utile)
Pendant longtemps, j’ai appliqué la règle non écrite :
« En cas de doute, lance un dé. »
Mais avec le recul, je vois aujourd’hui que ce réflexe peut cacher deux choses :
- De l’indécision.
- Le refus d’assumer une décision narrative.
Lancer un dé, c’est parfois une manière de se protéger :
« Ce n’est pas moi qui ai choisi, ce sont les dés. »
C’est confortable. Mais le MJ, c’est aussi celui qui guide l’histoire, qui en cadence le rythme, qui sait parfois quand ralentir, ou au contraire, quand relancer la machine. Assumer que certains choix n’ont pas besoin d’un jet de dés, c’est aussi faire preuve de maturité dans la maîtrise.
L’échec qui ralentit… pour rien
Reprenons cette scène sur les toits : les joueurs fuient, la tension monte, et là… un test d’acrobatie inutile. Pourquoi ? Parce que, face à l’imprévu, j’ai paniqué. J’ai cherché une béquille familière : les règles. Les dés. Un jet.
Mais le résultat ? La scène s’est étirée, a perdu de son énergie, et le rythme de la partie s’est effondré. Pour rien.
En réalité, j’aurais pu — j’aurais dû — simplement dire :
« Oui, vous sautez. Et vous filez sur les toits comme des ombres. »
Parce que ça servait l’ambiance. Parce que le moment ne demandait pas d’épreuve.
Le MJ a aussi le droit de prendre son temps
Il y a cette image du MJ surentraîné, capable de répondre au quart de tour, d’improviser des rebondissements géniaux à la volée… Comme si chaque action des joueurs devait immédiatement générer une réponse calibrée.
Mais en réalité, moi aussi, j’ai besoin de réfléchir.
Et c’est parfaitement OK.
Les joueurs prennent bien leur temps pour décider, élaborer des plans tordus, discuter de leurs choix… Alors pourquoi, en tant que MJ, devrais-je me priver de ce luxe ?
Désormais, face à une situation inattendue, je me pose deux questions simples :
- Ai-je envie de jouer ce jet et ses conséquences ?
- Ai-je clairement exposé les enjeux aux joueurs ?
Et si la réponse est non, je ne demande pas de jet. Ou alors, je laisse le joueur décider s’il veut tenter le coup.
Conclusion : le dé est un outil, pas une échappatoire
Le jet de dés ne doit pas devenir une réponse automatique à l’imprévu. Il doit rester un choix conscient, porteur de conséquences.
Improviser, ce n’est pas subir. C’est adapter.
Et parfois, c’est juste dire « oui » — ou « non » — sans lancer le moindre dé.